La peinture de Jacques Weyer
2018, Douglas Hanson, écrivain
La peinture de Jacques Weyer est la recherche des interactions entre les traditions de l’abstraction, surtout géométrique, et une illustration de ce que ces traditions ont conservé de fructueux jusqu’à ce jour. Cette peinture montre aussi l’évolution personnelle d’un autodidacte qui, il y a quarante ans, s’est embarqué sur ce chemin en une seconde carrière.
Plutôt que doté d’une créativité déductive, extérieure à lui et guidée par des idées hors de son travail, Weyer fonctionne d’une façon intuitive, inductive, provenant de l’intérieur de soi. Pour mieux le comprendre, on peut se rappeler qu’il est arrivé à cette activité de peintre après
une carrière initiale de chercheur biologiste en immunologie, à l’Institut Pasteur de Paris. Né en 1946, Weyer avait environ trente ans quand, en 1975, il quitta la biologie pour démarrer une activité uniquement artistique.
Une influence de l’aspect scientifique de cette période au laboratoire s’est révélée forte et de longue durée : c’est celle d’une approche toute expérimentale de la peinture, très minutieuse.
Weyer a décrit cette approche : il ne démarre pas avec une composition entièrement préconçue, mais plutôt il part par exemple avec l’idée du contraste entre une couleur et une autre, puis avec une troisième, et peu à peu il arrive à une composition qui met en jeu et équilibre cet ensemble coloré. Il cherche à combler ce qui peut encore manquer, par un processus graduel, intuitif, qui construit l’œuvre de l’intérieur vers l’extérieur, jusqu’à atteindre une totalité viable. Ce qui fait que même ses compositions apparemment les plus constructivistes, qui suggèrent la structure formelle associée à ce type de travail, sont en fait le résultat d’une évolution organique jusqu’à leur état final. Et l’impression fréquente d’une asymétrie harmonieuse rappelle encore l’idée très constructiviste d’un «déséquilibre équilibré».
Bien qu’il ne crée pas des séries d’œuvres, nommées et officialisées comme telles, Weyer reprend pendant un certain temps les mêmes motifs et crée à partir d’eux ce qu’il appelle une «famille d’œuvres picturales».
Lire le texte dans son intégralité
Lire le texte original en ANGLAIS (English original version by Douglas Hanson)
Du laboratoire scientifique à l'atelier d'artiste
2018, Caroline Quaghebeur, directrice de la Maison des Arts de Châtillon
Du laboratoire scientifique à l’atelier d’artiste, il est un fossé que Jacques Weyer n’a pas hésité à franchir, lorsqu’à trente ans à peine, il quitta un poste de chercheur en Immunologie à l’Institut Pasteur de Paris pour se consacrer à la peinture.
D’emblée abstrait, son travail se porte progressivement vers la simplification des formes pour une géométrie rigoureuse, toujours au bénéfice de la sensation colorée.
Formé au contact des œuvres et soucieux d’échanger constamment avec d’autres artistes, Jacques Weyer expose régulièrement dans les salons d’art abstrait (notamment Réalités Nouvelles depuis 1994) et lieux consacrés à la tendance géométrique, en France et à l’étranger. Au fil des ans, sa rigueur s’assouplit. Réflexion et sensibilité s’orchestrent et un monde vivant, dynamique, raffiné naît sur la toile. Ainsi confie-t-il : « Après quelques décennies de peinture, je me rends compte que je peins pour créer des tableaux dans lesquels la couleur circule d’une façon naturelle. Encore aujourd’hui, tout autre but pour moi me semble sans fondement ».
La pratique de Jacques Weyer ne répond donc pas à une doctrine picturale, de quoi se réconcilier - si besoin était - avec l’art abstrait géométrique, on le nomme plutôt construit ici.
On se surprend ainsi à s’émouvoir qu’une ligne tracée à main levée vacille (si peu), qu’une couleur posée en aplat puisse magnifier celle dont la touche est visible.
La peinture de Jacques Weyer éveille en celui qui la regarde une multitude d’émotions des plus subtiles. Y être sensible augure une attention au monde particulière, fine et un apaisement certain, dans la couleur.
La peinture est plus forte que moi
2017, Jacques Weyer
Au fond, après quelques décennies de peinture, je me rends compte que je peins pour créer des tableaux dans lesquels la couleur circule d’une façon naturelle. Encore aujourd’hui, tout autre but pour moi me semble sans fondement.
Obtenir cette « façon naturelle », c’est arriver à déclencher un processus par lequel j’essaie de faire silence en moi pour découvrir comment rendre évidente dans l’œuvre en cours la présence à telle place de telle forme et de telle couleur. Et pour dire vrai, à ce stade d’oubli de soi, je dois reconnaître que ce n’est plus moi qui décide, c’est la vie qui régit les éléments du tableau, comme elle régit toute la nature. De toute façon, la peinture est plus forte que moi.
Quand la composition totale de l’œuvre -formes et couleurs- semble réabsorbée par la nature, c’est-à-dire quand elle n’offre plus au regard aucun accident et que le regard l’accueille comme un être autonome, alors l’harmonie est atteinte à mon sens. A ce moment, le tableau fait diffuser en moi son calme, il me stabilise. Ce qui au départ était une intuition de tableau, avec sa part d’anxiété associée, est devenu une certaine forme de sérénité reçue en retour, qui me permettra d’aborder la prochaine œuvre à venir.
Ceci dit, que j’utilise à cette fin des lignes droites ou des formes géométriques simples n’a que peu d’intérêt pour moi, sinon celui d’offrir une plus grande clarté de lecture de l’œuvre.
Une forme d'optimisme
2015, Ernest Van Buynder, Président des Amis du M HKA d’Anvers (Musée d’Art Moderne)
L’originalité de Jacques Weyer s’exprime par des nuances très subtiles : la forme, les couleurs, les installations, les peintures murales, les thèmes, la technique de tracer les lignes à la main, tout cela donne une allure personnelle et vivante à son travail.
Les éléments prépondérants de la peinture de Jacques Weyer sont l’équilibre et l’harmonie entre le jeu des couleurs et des formes. Son affinité pour l’art minimal, le choix fréquent du couple horizontal-vertical créent une atmosphère méditative par laquelle sa personnalité est toujours présente. Le choix des couleurs exprime souvent calme et sérénité, parfois émotion et lyrisme. C’est là une forme d’optimisme que Weyer revendique.
Le pouvoir émotionnel de la couleur
2014, Fernand Fournier, philosophe et critique d'art
Pour Weyer, ce qui compte est qu’il y ait un pouvoir émotionnel de la couleur. Intéressé en priorité par le rapport que l’œil entretient avec la couleur, il a adopté presque instinctivement la position de phénoménologue. Weyer va jusqu’à la source impalpable des sensations. Ce peintre apporte son corps, entrelacs de vision et de mouvements.